Joseph Bruce Ismay (au centre) interrogé par la commission d'enquête du Sénat au Waldorf-Astoria

Harold Bride (au centre) interrogé par le sénateur Smith au Waldorf-Astoria

Harold Bride au centre accompagné par Guglielmo Marconi à gauche

Le sénateur William Alden Smith, un avocat républicain populiste aux cheveux blancs du Michigan dans la cinquantaine, a cherché des réponses à ce drame. Le mercredi 17 avril, deux jours après le naufrage, l’ampleur de la catastrophe (y compris la perte de nombreuses vies américaines) venait de devenir évidente. Smith s’est levé au Sénat pour proposer une enquête spéciale sous les auspices de la Commission du Commerce du Sénat, dont il était membre. Sa proposition d’enquête a été approuvée à l’unanimité. Celle-ci a permis à un comité d’enquêter sur les causes menant au naufrage du paquebot Titanic de la White Star, avec ses pertes en vies humaines si choquant pour le monde civilisé. Ce comité habilite le tribunal à convoquer des témoins, rassembler des documents, à faire prêter serment et à recueillir les témoignages nécessaires pour en déterminer les responsabilités. La proposition soulignait la nécessité de déterminer si le navire avait des embarcations de sauvetage adéquates et avait fait l’objet d’inspections appropriées. Cette commission a demandé au groupe d’étudier si de nouvelles lois ou un traité international seraient nécessaires pour éviter une nouvelle catastrophe. Smith a été nommé président assisté de six sénateurs (trois démocrates et trois républicains) dont George C. Perkins de Californie, Jonathan Bourne Jr d’Orégon, Théodore Burton d’Ohio, Furnifold McLendel Simmons de Caroline du Nord, Francis G. Newlands du Névada, et Duncan U. Fletcher de Floride.

Il n’y avait pas de temps à perdre. Le Carpathia, un paquebot de la Cunard, devait se rendre à New York le lendemain avec plus de 700 survivants du Titanic. Selon Wyn Craig Wade dans « The Titanic : End of a Dream (Penguin, 1986) », la Marine a informé le sénateur, le jour de l’arrivée prévue du navire, qu’un opérateur sans fil de la Marine avait intercepté des messages troublants envoyés par Ismay depuis le Carpathia. Ses messages laissaient entendre qu’il se préparait à ramener les membres d’équipage survivants en Angleterre sur un autre paquebot de la White Star (le Cedric) sans mettre le pied sur le sol américain. Smith voulait s’assurer qu’aucune personne responsable de la catastrophe ne puisse échapper à la juridiction américaine.

Le Sénateur s’est donc rendu à la Maison Blanche et a obtenu l’autorisation du Président William Howard Taft d’intercepter le Carpathia avant qu’il n’accoste, pour contrecarrer tout effort d’Ismay d’échapper aux autorités américaines. (Taft était bouleversé par un lien personnel avec la catastrophe : son aide de camp et ami, le Major Archibald Butt, était passager à bord du Titanic et ne faisait pas partie des survivants.)
Le sénateur Smith s’est ensuite précipité à la gare Union de Washington et est monté à bord du train de 15h30 en direction de New York accompagné d’un petit comité. Arrivé à New York au moment où le Carpathia accostait au Pier 54 à la jetée de la Cunard ce soir-là, il prit un taxi directement de la gare jusqu’au navire, où des foules de journalistes, d’amis et de parents de passagers du Titanic ainsi que des curieux et badauds s’étaient rassemblés dans une bruine nocturne. Il se rendit jusqu’au navire et, à bord du Carpathia, parla brièvement dans la cabine du médecin avec un Bruce Ismay fatigué. Le sénateur est ensuite apparu pour dire aux journalistes qu’il s’attendait à une pleine coopération de la part d’Ismay et de ses employés dès que les audiences commenceraient le lendemain matin. Déclarant également qu’aucune objection n’avait été faite de la part de la White Star Line ainsi que des autorités britanniques pour l’ouverture de cette enquête.

L’enquête, que William Smith dirigea comme principal interrogateur, s’ouvrit à l’hôtel Waldorf-Astoria, symbole de l’âge doré, dont le Titanic semblait avoir annoncé la fin. La semaine suivante, il déménageait à Washington, où il inaugura la nouvelle salle du caucus du Sénat Russell, site de toutes les enquêtes télévisées du Sénat depuis cette époque. Plus tard, les séances (17 au total) ont été déplacées aux environs selon les besoins, et à nouveau à New York, parfois avec Smith et les autres sénateurs qui interrogeaient les témoins et prenaient des déclarations de leur propre chef. À l’époque, précédant les magnétophones, les séances étaient transcrites par un sténographe et, pour la plupart, c’était William McKinstry, un jeune assistant peu formé du sénateur Smith. Dans son récit des audiences du Sénat, Wade met en garde contre le fait que McKinstry a parfois mal compris les accents britanniques, transcrivant « 40 » pour « 14 », par exemple (« forty » pour « forteen »).

Cela mis à part, les témoignages qui suivent sont fascinants principalement pour leur spontanéité. Le témoignage de l’opérateur sans fil, Harold Bride, par exemple, constitue l’une des histoires maritimes les plus palpitantes de tous les temps. Le sénateur Smith a fait remarquer à un moment donné qu’il n’avait pas appelé plus de femmes à témoigner par respect pour leur nouveau chagrin causé par la perte de leur mari.
Aucun des membres du comité (et certainement pas le sénateur Smith) n’était un expert maritime (mais, par coïncidence, Smith avait déjà dîné avec le malheureux capitaine du Titanic sur l’Adriatic qu’il commandait à cette époque). La méthode de questionnement de Smith, dans laquelle il sautait souvent au hasard d’un sujet à l’autre, apportait un air improvisé aux débats tendus, surtout au début. Cette méthode d’interrogation reflète peut-être les difficultés initiales du sénateur à régler les questions inconnues, mais plus loin dans les transcriptions, il indique clairement sa capacité d’absorber et de traiter d’énormes quantités d’information. De nos jours cette méthode est connue comme étant « La méthode de reformulation ». Elle consiste à répéter la réponse de l’interlocuteur sous forme d’une nouvelle question dans le but d’obtenir plus de détails et ainsi libérer la parole de celui qui est interrogé.
Il utilise cette méthode lorsque l’enquête se concentre sur des aspects complexes ou subsidiaires de la catastrophe qui ne se prêtent pas facilement à la dramatisation populaire. Parmi ceux-ci, le scandale du Californian, le navire proche du Titanic qui n’a rien fait pour l’aider, les mesures héroïques et risquées prises par le capitaine du Carpathia pour secourir les survivants, et le rôle de la télégraphie sans fil Marconi dans la catastrophe, qui posaient le même genre de questions sur les nouvelles formes de médias et le traitement responsable de l’information qui persistent aujourd’hui. Les transcriptions relatent également la frénésie médiatique entourant la catastrophe, y compris le « journalisme du chéquier » pratiqué par le New York Times avec l’aide de Guglielmo Marconi, l’inventeur de la technologie sans fil. Le Times, qui a rapporté le naufrage du lundi 15 avril, bien avant d’autres journaux, est resté en première ligne sur l’histoire en partie parce qu’il s’est joint aux excès de la journée.

En fin de compte, les sénateurs pouvaient recommander qu’aucune poursuite ne soit intentée parce que les lois sur le transport maritime et la sécurité maritime étaient si laxistes que personne ne pouvait être trouvé coupable. En tout état de cause, les exploitants du Titanic immatriculé au Royaume-Uni devaient répondre principalement aux autorités britanniques, dont les règlements étaient également laxistes. La principale contribution de l’enquête a été de recommander des mesures législatives correctives et de fournir une première ébauche saisissante de l’histoire. Cette histoire de richesse, de pauvreté, d’orgueil et de perte, à l’aube d’un siècle de progrès et de promesses non réalisés, s’est transformée à la fin en un mythe déterminant des temps modernes.
Ce récit est largement inspiré de la préface du livre « The TITANIC Disaster Hearings : The Official Transcripts of the 1912 Senate Investigation » écrite par Tom Kuntz.

En voici le déroulement jour après jour traduit de cet ouvrage dont on peut retrouver l’intégralité des 534 pages d’un rapport qui en contient plus de 1.100 pages aux archives du Sénat Américain.