"La Presse" du mercredi 17 avril 1912

La Presse du 17/04/1912 La Presse a publié hier de longs détails sur l'épouvantable catastrophe du Titanic. Nos premières dépêches étaient hélas exactes et c'est bien un horrible malheur qui frappe l'humanité. Aujourd'hui encore on espérait que la version optimiste de la soirée, enregistrée par les journaux de ce matin serait ratifiée. Mais il semble bien, maintenant que tout espoir doive être abandonné.
Voici, en effet, la sinistre dépêche reçue par le Daily Mail (bureau de Parts) :
New-York, lundi minuit. — Dans la catastrophe du "Titanic", il y a dix-huit cents victimes.
Les dépêches sur la catastrophe parviennent en très petit nombre; elles sont souvent contradictoires et toujours confuses.
Nous les publions ci-dessous dans leur ordre d'arrivée.
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LE NOMBRE DES VICTIMES
serait de 1.800 environ
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Parmi les morts se trouveraient le colonel Astor et M. Stead
la Daily Mail publie la dépêche suivante :
New-York, 16 avril. — Le New-York Times reçoit du cap Race le télégramme spécial suivant :
« On peut affirmer en toute certitude qu'à 11 heures cette nuit, on n'avait encore rien reçu à la station Marconi pouvant faire supposer que le Parisian, le Virginian ou tout autre navire autre que le Carpathia avaient recueilli des naufragés.
Les bureaux de la White Star Line regorgent encore d'une foule désolée.
M. Vincent Astor, fils du colonel Astor, est parmi les personnes venues aux informations.
Il est absolument impossible aux employés de lui donner le plus léger espoir que son père soit sain et sauf; il s'en va en pleurant.
Beaucoup des dames présentes, qui, elles aussi, attendaient des nouvelles, lui ont exprimé leurs sympathies, oubliant un instant leur propre douleur pour se lamenter sur le sort tragique du millionnaire qui regagnait l'Amérique en compagnie de sa charmante et toute jeune femme, après un voyage de noces en Egypte.
On rappelle encore qu'il y a à peine un an on crut que le colonel Astor avait péri englouti avec son yacht, le Nourmahal, dans un ouragan, près de Cuba. Au bout de dix jours seulement, pendant lesquels on ignora le sort du millionnaire, on apprit finalement qu'il était sain et sauf au port.
Londres, 16 avril. — On confirme que 1.800 passagers et hommes de l'équipage ont péri dans le naufrage du Titanic. Les sauvés seraient au nombre de 674.
Une grande émotion règne partout. Les journaux de Londres publient des éditions spéciales gue le public s'arrache.
Les bureaux de la White Star Line sont assiégés par une foule anxieuse. — (Agence Fournier.)
Londres, 16 avril. — On confirme que le publiciste anglais bien connu Stead est parmi les victimes.

SOIXANTE FRANCAIS
étaient employés à bord du"Titanic"
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on suppose qu'ils ont tous péri Cherbourg, 16 avril. — MM. Le Pont et Lanièce, agents maritimes, qui dirigent, depuis plusieurs années la succursale de la «White Star Line» dans notre ville, confirment qu'il y avait à bord du «Titanic» une soixantaine de Français, tous employés dans un des quatre restaurants réservés aux passagers des premières, les trois autres ayant embauché du personnel anglais et américain.
MM. Le Pont et Lanièce seraient malheureusement convaincus que nos compatriotes ont péri. Leur conviction est basée sur l'inflexibilité du règlement, qui enjoint aux employés des paquebots anglais, en cas de sinistre, de ne chercher à se sauver qu'après que le salut de tous les autres passagers a été assuré.
Quels sont les noms de ces soixante victimes ? Le siège principal de la White Star Line, à SoUthampton, n'en a pas encore communiqué la liste.
MM. Le Pont et Lanièce déclarent, en outre, savoir que la majorité des femmes et des enfants sont sauvés et probablement aussi Les cent vingts hommes d'équipage auxquels avait été confiée la direction des embarcations de sauvetage.

Un Passager Français

Parmi les passagers français du Titanic se trouvait un de nos amis, M. Malachard, opérateur de cinématographe, attaché depuis de longues années au service des actualités de notre excellent confrère Pathé-Journal.
M. Malachard s'était embarqué à Cherbourg se rendant, à New-York.
Le directeur de son service, M. Gaveau nous a fait part de ses inquiétudes concernant le sort de son collaborateur.
M. Malachard, nous a déclaré M. Gaveau, avait été désigné pour se rendre à New-York où, avec nos collaborateurs de cette dernière ville, il devait prendre cinématographiquement l'arrivée du paquebot «France» qui effectue son premier voyage le 20 courant.
Notre colaborateur connaissait bien le parcours qu'il avait effectué plusieurs fois, mais l'absence de nouvelles nous fait craindre malheureusement qu'il n'ait succombé lui aussi, dans cette terrible catastrophe.
Nous avons câblé de tous les côtés afln d'être rassurés et nous n'avons encore aucune nouvelle. Vous comprendrez facilement notre angoisse et notre désir d'être promptement renseignés.

Cherbourg en Deuil

Cherbourg, 16 avril. — Une profonde consternation règne ici depuis que l'on connaît la gravité de la catastrophe du «Titanic».
Tous les bâtiments du port de commerce ont mis en berne leurs drapeaux.
UN MILLIER DE PERSONNES
Auraient échappé à la catastrophe
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Le «Carpathia» a recueilli 868 survivants
Boston, 16 avril. — Un radiotélégramme de l'Olympic dit que le Carpathia se rend à New-York avec 868 survivants du Titanic, dont la plupart sont des femmes et des enfants.
La dépêche conclut en exprimant des craintes graves pour les autres passagers et l'équipage.
On télégraphie de Montréal au Lloyd qu'on a pu sauver 675 passagers et 200 hommes d'équipage.
Une dépêche de New-York reçue par la station de T. S. F. de Cape-Race donne une liste de 60 survivants, parmi lesquels figure Bruce Jsmay, un des propriétaires de la White Star Line.
On mande de Saint-Johns (Terre-Neuve] que le Virginian revient de Saint-Johns. Ce vapeur, faisant route pour l'Europe, on espère que ce retour signifie qu'il y a des survivants à bord.
New-York, 16 avril.— Parmi les passagers du Titanic qui ont été sauvés se trouvent le colonel Simonius, président d'un établissement financier suisse et le docteur Max Stahelin, directeur d'une société commerciale suisse.
Au siège de la Compagnie
De nombreux parents et amis de passagers du «Titaniic» se sont rendus ce matin au siège de la Compagnie de la White Star Line, avides de nouvelles.
Comme partout, les renseignements font défaut, 9, rue Scribe, au sujet de la catastrophe.
On sait cependant que le «Carpathia» a recueilli 875 passagers au lieu de 675, comme on le disait ce matin.
Le «Titanic» aurait sombré peu après la collision, puisque le transatlantique «Olympic», qui emprunte la même route, n'aurait aperçu aucune épave.
Seuls trois voyageurs sont inscrits comme Francais sur le registre. Ce sont : Mme Aubart, en première classe ; MM. Pernot et Malachard, en seconde classe.
Une grande partie du personnel du restaurant était composée de Français, mais on n'a pu préciser leur nombre.
Cet après-midi, le directeur de l'agence de la «White Star Line» a reçu un télégramme de l'ambassadeur anglais à Berlin, et un coup de téléphone de M. Pierpont Morgan, en villégiature à Aix-les-Bains, lui demandant des détails sur la catastrophe.
M. Alfred Vanderbilt, que l'on croyait à bord du Titanic, a télégraphié à sa mère qu'il était sain et sauf en Angleterre.
Une Liste des Survivants
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New-York, 16 avril. — Voici une liste partielle, telle qu'elle a été télégraphiée au cap Race, des passagers sauvés du désastre du Titanic : Mmes Edward W. Appleton, Rose Abbott, Mlles C. M. Burns, G. M. Burns, D. D. Casselbere, Mmes William Clarke, B. Chibinaco, Mlles E. G. Crossbie, H. L. Crossbie, Jean Hippact, Mmes H. B. Harris, Alex Halverson, Mlle Margaret Hayes, M. Bruce Ismay, M. et Mme Ed. Kimberley, M. F. A. Kenyman (ou Kenyon), M. Emile Kenchen, Mlle G. R. Longley, Mme A. F. Leader, Mlle Bertha Lavory, Mmes Ernest Linnes, Susan P. Ryerson, Mlle Emilie B. Ryerson, Mmes Arthus Ryerson, John Jacob Astor, le jeune Allison et sa nourrice. Mlle Andrews, Mlle Manette Panhart, Mlle E. W. Allen, Mme F. M. Warner, Mlle helen Wilson ........... D. Widener et sa femme de chambre, Mme J. Stewart, Mlle Mary C. Lines, Mme Sigfrid Lindstrom, M. Gustave J. Lesneur, Mlle Georgietta Amadill, Mme Melicard, Mme Tucker et sa femme de chambre, Mme J. B. Thayer, M. Thayer junior, M. H. Woolner, Mlle Annie Ward, Mme J. Stuart White.
Mme Marie Young, Mme Thomas Potter, Mme Edna S. Roberts, la comtesse de Rothes, M, C. Rolmane, M. et Mme D.-H. Bailey, M. H. Blank, Mlle A. Barsiaa, Mme James Baxter, Mme George A. Bayton, C. Connell, M. et Mme J. M. Brown, Mlle G.-C. Bowen, M. et Mme R.-L. Beckwith, M. et Mme L. Henry, Mme W.-A. Hopper, M. Mile, M. J. Flynn, Mlle Alice Fortune, Mme Robert Douglas, Mlle Hilda Slayter, M. H. Smith, Mme Brahan, Mlle Lucile Carter, M. Willian, Carter, Mlle Roberts, Mlle Cumings, Mlle Minaham.

Deux Rescapés
Le Daily Mail a reçu cet après-midi dans ses bureaux du boulevard des Capucines, la visite du docteur américain Joseph Leidy.
M. Joseph Leidy venait montrer à notre confrère une dépêche, qu'il venait de recevoir de Philadelphie, où M. et Mme W. Carter, passagers de première classe du Tilanic, lui annonçaient laconiquement qu'ils étaient sains et saufs.
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Le Navire géant
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Le «Titanic», qui avait été lancé le 31 mai 1911, mesuraât 288 mètres de long, 28 mètres de large et 53 mètres de hauteur depuis la quille jusqu'au haut des cheminées.
On se fera aisément une idée des dimensions de ce paquebot gigantesque en songeant que la rue Royale, depuis la Madeleine jusqu'à la place de la Concorde, n'aurait pu le contenir. Elle ne mesure en effet que 282 mètres de long et 22 m. 80 de large.
L'EMOTION A PARIS
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A l'american Express C°, rue Auber, où tous les touristes américains se réunissent généralement, comme une petite colonie, c'est la cohue, on se presse pour avoir des nouvelles et invariablement l'on répond :
« — Adressez-vous en face, à la White Star Line. »
Ses vastes autobus qui conduisent les touristes dans les principales localités de la banlieue parisieinne partent depuis ce matin presqu'à vide.
De l'autre côté de la rue Auber, à la succursale parisienne de la Compagnie intéressée, c'est l'affolement complet. Non seulement les Américains viennent, y chercher les renseignements de dernière heure, mais ils se montrent très pressants et avides de nouvelles.
Au dehors, la foule des badauds parisiens contemple avec compassion le Lamentable défilé des Américains qu'un deuil par trop cruel vient de frapper.
Nous avons demandé à MM. Raymond et Pynchon, les banquiers de la place Vendôme, qui tous les jours, avant la Bourse, entrent en conversation par câble avec New-York, de vouloir bien nous communiquer les dépêches particulières concernant la catastrophe, qu'ils avaient reçues.
MM. Raymond et Pynchon nous ont répondu fort Obligeamment qu'aux dernières nouvelles, le nombre des victimes s'élèverait à 1.800 environ. Parmi elles se trouvent MM. Jean. Astor, milliardaire de New-York, Stead, directeur de la « Review of Reviews », et le directeur du « Grand Trust », compagnie de chemin de fer canadienne.
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LA POSITION DES BANQUISES
avait été signalées par la «Touraine»
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Le commandant du «Titanic» avait remercié par radiotélégramme
Le Havre, 16 avril. — Le paquebot La Touraine, qui est arrivé dans la soirée d'hier, signale que le mercredi 10 avril, par atitude 44,58 Nord, et longitude 50,40 Ouest, à minuit 05, le paquebot est entré dans un champs de glaces. Pour éviter les chocs cons.... la vitesse fut ralentie à 12 noeuds 15. La Touraine est sortie du champ de glaces à 1 h. 15. Ces glaces sont très basses.
Le même jour, à six heures du matin La Touraine longea le Sud, d'un autre champ de glaces, jusqu'à six heures quarante-cinq, et aperçut au même moment, deux icebergs.
Il convient de signaler que La Touraine a été en communication vendredi 12 avril, presque tout l'après-midi, jusqu'à neuf heures au soir, avec le Titanic.
M. Caussin, commandant de La Touraine, ayant rencontré des banquises, signala leur position, par radiotélégramme, au commandant du Titanic. Celui-ci répondit, par radiotélégramme, en remerciant sincèrement des renseignements fournis. — (Presse Nouvelle.)
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D'Immenses richesses
ENGLOUTIES AVEC LE « TITANIC »
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Londres, 16 avril. — Le Times donne, ce matin, des détails sur la valeur d'une certaine partie de la cargaison qui se trouvait à bord du Titanic.
Les cales de ce navire renfermaient, entre autres choses, 50.000 tonnes de caoutchouc et une certaine quantité de thé, des diamants et des valeurs représentant une somme considérable.
Les bagages des passagers formaient également un chiffre imposant. On dit, par exemple, qu'à elle seule, une cassette de bijoux appartenant à une passagère américaine valait environ trois millions de francs.
La Pall Mall Gazette croit savoir qu'à bord du Tilanic se trouvaient des diamants et des titres pour une valeur de plus de vingt-cinq millions.
Le Titanic était assuré à la compagnie du Lloyd pour une somme de vingt-cinq millions de francs, mais sa valeur était en réalité de cinquante millions de francs.
Londres, 16 avril, — On confirme que le Titanic a coulé et que toutes ses richesses ont été englouties.
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